Un amas de choses est entassé sur le trottoir, ça bouge, ça vie…Il fait froid, il pleut, il neige…mais cette chose est encore là. Elle forme une silhouette étrange, presque inquiétante. Quelle est donc cette chose qui vit là, près des voitures qui crachent leur fumée, devant des passants indifférents ? Un animal ? Non, un être humain qui vit seul aux yeux de tous, abandonnés de tous dans cet espace gris de mur qui l'entoure.
Voici plus d'un an que je participe aux maraudes de Banlieue Plus, c'est devenue une petite famille où nous sommes tous solidaires. Banlieue Plus distribue une centaine de repas chaque dimanche. L'ambiance y est conviviale et on se sent bien d'être utile. Souvent le dimanche est un jour où on aime rester chez soi, blottis dans sa chaude couverture dans le froid intense de l'hiver. On oublie alors que d'autres n'ont pas cette chance. Nous continuons notre train-train quotidien, métro-boulot-dodo. Quant à ceux qui ont pris pour demeure la rue, ils deviennent alors invisible à nos yeux. Depuis que je fais ces maraudes, ils sont de nouveaux visibles devant moi, comme si le film de l'indifférence s'était évaporé. Je sais que ce sont des gens comme moi, dont un jour les circonstances de la vie ont fait qu'ils sont devenus l'autre, "l'indésirable" de la rue…Celui qui donne mauvaise conscience quand on y pense trop, ou cet autre qui fait honte à la société "des gens qui se lèvent tôt pour gagner toujours plus". Spéculation d'une vie où chacun est devenu individualiste, l'autre est un pion comme un autre. Et l'humanité dans tous ça ?
L'humain n'a plus sa place dans un monde où l'argent est roi. Pourtant il suffit de peu pour faire un monde : un repas et un peu de chaleur humaine. Il en faudrait certes plus, mais l'être humain agit à la mesure de ce qu'il est capable de faire. De nombreuses associations agissent alors dans l'ombre d'un Etat qui a sans doute baisser les bras ou qui tout simplement préfère oublier ces "gens-là" devenus invisibles ou nuisibles aux yeux de tous. Je vois, à chaque dimanche où je participe, des gens différents. Ils ont certes faim mais ils ont besoin de discuter, de savoir que l'on s'intéresse à eux, qu'on ne les a pas oubliés, eux les bannis de cette société. Aujourd'hui, pour pouvoir exister il faut un emploi, un foyer. Dès lors où l'on perd un emploi, une partie de notre vie sociale est effacée, alors perdre son foyer, c'est disparaître.
J'ai vu des Français, des Espagnols, des Italiens, des Roumains…bref peu importe, des êtres humains, sur le bas côté de la route. Pendant que la neige tombait en flocon, certains étaient abrités sous des tentes quand d'autres avaient pour seul lit un sol dur gris. La neige tombait sur leurs visages emmitouflés dans une maigre couverture, une cannette de bière sur le côté dont pour certains est le seule refuge pour se réchauffer. Un hiver assez rude que cette année 2012-2013 où nous étions pressés de rentrer chez nous, alors qu'eux parfois dehors perdaient leur vie. L'hiver est presque derrière nous, et ils sont toujours là cherchant refuge où ils peuvent : cabine téléphonique, banc d'un parc de Paris, coin d'une boutique fermée, ou juste un petit endroit dans le coin d'une grande avenue.
Ce jour, j'ai emmené des membres de ma famille. Deux de mes sœurs et une amie de l'une d'elle. Mina et son amie Sihame ont 22 ans et la dernière de mes sœurs, Rizlen, en a 15. Pour Mina c'est sa troisième maraude et elle apprécie toujours autant de se rendre utile. Pour Sihame c'est sa première fois, et à la fin de la journée elle se sent apaisée d'avoir pu être utile et donner le sourire aux autres. Car un simple sourire c'est déjà beaucoup pour l'autre. Pour Rizlen qui était venue en tant qu'observatrice, elle finit par mettre la main à la pâte. Donner de soi n'a pas d'âge, et si l'on peut déjà apprendre à s'occuper de l'autre avant d'atteindre l'âge e l'indifférence, le monde serait peut-être meilleur.
Notre maraude commence ainsi : nous préparons les paniers repas composés de : sandwich, boissons, dessert et petit goûter. Dans une ambiance conviviale mais très productive, chacun a sa tâche : un groupe qui coupe les baguettes, un qui s'occupe de la mayonnaise, un autre de la tomate, la salade, le saucisson. D'autres s'occupent de mettre tout en sachet avec le reste du panier repas. Nos paniers repas fin prêts, nous partons par groupe et par secteur de Paris. Nous prenons nos voitures personnelles, il y a donc son conducteur et les autres participants de la maraude. C'est alors une aventure humaine qui commence, celle qui brise le mur du silence, le mur de l'indifférence, celle qui nous fait mettre un pas…vers l'autre.
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